Je ne vous ai pas parlé souvent de mon père, un éminent chirurgien qui a permis à des centaines et des centaines de sourds d’entendre. Mon père est le père de l’implant cochléaire au Canada. Un implant cochléaire est un petit appareil qu’un chirurgien loge dans la boîte crânienne du patient avec une multitude d’électrodes collées une à une le long de la cochlée. Cet appareil est relié à une petite antenne camouflée dans les cheveux de la personne sourde. Le dispositif transmet des signaux au cerveau par la stimulation des fibres nerveuses du nerf auditif au moyen de petites impulsions électriques. Grâce à l’implant cochléaire, les sourds peuvent entendre. Mon père a été le premier en Amérique du Nord à utiliser l’implant cochléaire à multiélectrodes en 1984 et il a été le premier au monde à implanter cet appareil chez un bébé de 5 mois en 2000 (Voici son portrait, sur l'Ordre National du Québec). Mon père, c’est le meilleur.
Aujourd’hui, il a 83 ans. Il souffre d’une maladie dégénérative du cerveau apparentée à l’Alzheimer. La semaine dernière, il a accepté de parler ouvertement de sa maladie devant les caméras de Radio-Canada (À VOIR ICI & ICI). Pourquoi ? Parce que la pandémie, le confinement et l’isolement ont l’effet d’un tsunami sur les personnes vivant avec une perte cognitive. Avant la pandémie, mon père avait deux journées par semaine d’activités de socialisation et de stimulation. Depuis l’arrêt de ses activités, il sent que la maladie a changé de rythme et évolue plus rapidement. Sa tête et son corps se fatiguent plus vite. Ses petits bobos deviennent plus gros. Heureusement sa femme veille sur lui, cherche à garder son esprit le plus éveillé possible, l’invite à aller marcher à l’extérieur, mais elle aussi s’épuise. Être aidante d’un proche, c’est 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Si mon père a perdu ses activités de socialisation et de stimulation, sa femme quant à elle, a perdu ses quelques heures de répit.
Tout ça pour vous parler des dommages collatéraux dus à cette pandémie. Trop souvent, on dénombre les gens affectés, hospitalisés et décédés. Rarement on parle de l’impact de cette terrible période sur les gens vivant avec l’Alzheimer et leurs proches. Des témoignages comme celui de mon père et de sa femme, il y en a tout plein autour de moi. Je crains pour toutes ces personnes à la santé fragile, pour tous ces aidants qui s’épuisent mentalement et physiquement. J’ai peur que cette clientèle passe sous le radar et qu’on ne fasse rien pour les soulager. Je sais, vous et moi, on a tous un peu les mains liées par les mesures sanitaires, mais peut-être qu’en réfléchissant très fort, tous ensemble, on peut trouver des petites solutions pour alléger le quotidien de ceux qui vivent avec l’Alzheimer.
Je suis allée voir mon père et sa femme la semaine dernière. Un petit deux heures. Tous les trois nous étions masqués et à plus de 2 mètres les uns des autres. On ne s’est pas enlacés ni embrassés, évidemment ! Ça m’a fait du bien de voir mon père et sa femme en « vrai ». Aucun ZOOM, FACETIME ou HANGOUTS ne remplacera le contact humain. Comme le dit Monsieur Legault, il faut savoir évaluer la situation en tenant compte de la balance des inconvénients. Mon père c’est le meilleur et encore aujourd’hui, malgré le contexte, malgré les difficultés, grâce à sa femme et aux mini interactions avec sa famille, il s’accroche et a toujours le tour de tirer la sonnette d’alarme… pour lui, pour sa famille, pour les autres, pour la science, pour un monde meilleur.
Nancie