J’ai choisi de raconter. Et j’ai choisi de raconter ici.
Je me suis longtemps demandé où je tournerais la page en en rédigeant quelques-unes. J’ai quand même hésité un bon moment avant de laisser mes mots tapisser le site de l’entreprise familiale. J’avais (et j’ai encore) un peu peur de ce que les gens allaient penser. Jamais je ne voudrais que ce soit perçu comme l’histoire d’une famille en quête de sympathie. C’est plutôt le récit d’une famille qui espère du plus profond de leurs cœurs que ces lignes en inspireront quelques-unes. Même si notre histoire n’a rien du réconfort de la lavande, elle demeure la nôtre. Le blogue de la Maison, c’est un beau canevas où on partage beaucoup, où on se confie parfois. Et ce récit, ce n’est que ça.
Pour les comme-moi, en quête de récit bouillonnant de vérité qui finit bien, voici l’histoire de Lou, notre petit soldat.
Avant de s’y lancer, petit avertissement : j’ai perdu la notion du temps et je ne suis pas médecin. Les lignes qui suivent résument notre histoire du mieux que je pouvais le faire, un peu assombrie par l’émotion. J’ai écrit ce texte à coup de 15 minutes. Beaucoup au rythme des siestes de Lou, un peu aussi parce que ça me replongeait dans notre intempérie. La chronologie des évènements, les avants ou les après, les termes médicaux, les explications des interventions, c’est mon grand possible. Comme tout le reste de notre histoire, d’ailleurs. Maintenant que je suis pardonnée, bonne lecture (& promis, elle finit bien).
C’est à mi-chemin du mois le plus sombre de l’année qu’on a réalisé que quelque chose clochait chez notre petit cœur. On venait de se réjouir du premier mois de vie de notre bébé quand on a consulté un médecin près de la maison pour de potentiels reflux gastriques. C’est en discutant avec des mamans qui cumulaient plusieurs mois de naissance de leurs bébés que j’ai compris que le diagnostic était faux, peut-être trop rapide. «Le meilleur truc avec les bébés-reflux, c’est d’incliner le lit du bébé pour profiter de la gravité lors de sa digestion!». Le lit du bébé? Lou n’avait pas touché son lit depuis des jours, quémandant les bras à coups de crises. Mais c’était tout. Un bébé qui pleure et qui se tortille. Probablement la seule chose que tu googles qui ne t’inquiète pas. On parle souvent de l’instinct des mamans, des parents. Loin de moi l’idée de vouloir m’attribuer certains pouvoirs magiques, il me manquait trop de réponses. À peine quelques heures plus tard, on était de retour chez le médecin. C’est en finissant le boire dans la salle d’attente qu’on s’est fait appeler dans le bureau 4. Cette même pièce que Lou a brutalement tapissé de vomis peu après l’examen de son abdomen. Un vomis en très-jet. C’était impressionnant. Tellement, que la médecin a cru pertinent de nous apprendre deux mots qu’on n’avait jamais entendus auparavant : «sténose» et «pylore». J’y reviens sous peu, promis je n’y manquerai pas. Et c’est quand elle a mentionné les deux mots qu’on aurait jamais voulu entendre que l’anxiété a pris le dessus : «urgence» et «hôpital».
Je crois que ça a pris 6 minutes pour se rendre au triage. On était fatigués, inquiets de voir notre bébé pleurer. C’est celui qui catégorise les urgences en ordre croissant qui nous a mentionné que l’hôpital de quartier nous serait trop peu utile. Peu importe le diagnostic qu’on trouverait grâce à l’échographie qu’on nous avait prescrit, on n’avait pas les outils nécessaires pour prendre en charge Lou. Il nous a fortement conseillé de nous rendre à Sainte-Justine au matin suivant vu l’état brisé des routes… qui égalaient probablement notre état d’esprit. Ce soir-là, on sentait la lourdeur du temps. C’était sombre, froid et inquiétant. On s’illuminait par le foyer et par ma mère au cœur rassurant.
Le lendemain matin, on était à l’urgence de Sainte-Justine. La salle d’attente était pleine, remplie de petits souffrants. J’avais Lou dans les bras, la tristesse et la fatigue dans les yeux. Je croisais ceux d’autres parents, tout aussi écorchés que nous. Rapidement, le nom de Lou résonnait dans l’intercom et on nous plaçait en quarantaine (sincère délicatesse), évitant les contaminations des maladies d’hiver des enfants, comme la star montante de l’année : la bronchiolite. Deux médecins sont passés nous voir, peu après le boire de Lou. Ils ont tâté le ventre de Lou pour amorcer le même spectacle que celui de la veille : un vomit en jet cette fois teinté de petites tâches rosées - du sang, dû à l’irritation de son œsophage très probablement. Ce n’était que le deuxième épisode, alors que les enfants qui souffrent d’une sténose du pylore imitent les fontaines du Bellagio à chacun des boires, normalement. Mais Lou se démarque des statistiques. Et ce n’était que le tout début.
Malgré l’épisode, les médecins n’étaient toujours pas convaincus du diagnostic d’un pylore déficient. On nous a donc envoyés passer une échographie rapidement. Quelques minutes plus tard, Lou était installé confortablement sur moi, une machine qui scrutait son estomac collé à son ventre orchestré par une technicienne qui, bien malgré nous, ne pouvait émettre aucun diagnostic. Chaque minute qui passait, notre rythme cardiaque s’accélérait, par peur que notre tout petit doive subir une intervention quelconque. En attendant la radiologiste, on essayait de se fortifier entre parents fatigués. Quand elle est entrée dans la pièce sombre, elle s’est exclamée : «Aucun doute, votre bébé souffre d’une sténose du pylore. C’est tellement flagrant que je ne ferai aucune autre image, vous retournez à l’urgence maintenant.» J’ai craqué en larmes, la main dans celle de l’amoureux.
En mots de maman terrorisée qui tentait de comprendre le diagnostic de son tout petit bébé, le pylore est un muscle situé entre l’estomac et l’intestin. À peu près le seul muscle du corps que tu ne souhaites pas trop muscler. Malheureusement, celui de Lou était tellement grossier et serré qu’il empêchait l’estomac de se vider normalement et créait des vomissements en jet. À ce qu’on dit, c’est une anomalie qui se présente plus souvent qu’autrement chez les petits garçons, premiers de famille même. C’est un diagnostic qui demande une intervention chirurgicale mineure assez urgente pour éviter la déshydratation du poupon. Dans ce cas-ci, on parlait d’une chirurgie par para scopie où trois tout petits trous à des endroits hyper précis permettraient à l’équipe d’aller guérir l’intérieur du ventre de notre bébé.
La fellow (médecin qui complète une formation spécialisée dans un département précis - dans ce cas-ci, c’était en chirurgie pédiatrique) est passé nous faire signer un consentement. Visiblement habituée à la paperasse et à l’anomalie des pylores comme celui de Lou, elle nous a expliqué les risques d’une intervention mineure comme celle-ci. Assez simples & heureusement rares : soit on incisait trop, soit on n'insistait pas assez. Dans la première éventualité, c’est un peu chaotique. Si on coupe trop le muscle, on peut créer une fissure de la muqueuse et ainsi, littéralement «ouvrir une porte» au liquide gastrique et au contenu de l’estomac vers le reste du corps. Pas bon. Dans le deuxième cas, quand on était trop prudents, on ne détendait pas suffisamment le muscle, nous gardant avec le même problème qu’au départ, soit une congestion du canal de l’estomac vers l’intestin grêle et donc, «retour à la case départ» : une deuxième intervention à prévoir. Elle s’est montrée hyper rassurante, nous disant que Lou était le 4e cas de sténose du pylore de la semaine et que les risques de complications étaient de moins de 1%. «Dans 36 heures, vous serez de retour à la maison!»
Vous ne connaissez toujours pas le reste de l’histoire, mais croyez-moi. Malgré notre angoisse impossible à ce moment-là, j’aurais tout fait pour cesser l’histoire ici. Opération, 30 minutes, merci & bonsoir.
Mais oh. Est-ce que je vous avais dit que Lou défiait les statistiques?
Par Marjolaine Ferron